La sécurité des sites industriels constitue un enjeu majeur pour la protection des travailleurs, des populations environnantes et de l’environnement. Face aux risques technologiques et aux catastrophes industrielles passées, les autorités ont progressivement renforcé le cadre réglementaire encadrant les obligations de sécurité des exploitants. Du Code du travail à la directive Seveso, en passant par les plans de prévention des risques technologiques, un arsenal juridique complexe s’est mis en place pour prévenir les accidents et limiter leurs conséquences. Cet encadrement strict impose aux industriels de multiples contraintes, tout en laissant une marge de manœuvre dans leur mise en œuvre opérationnelle.
Le cadre juridique général des obligations de sécurité
Les obligations de sécurité des sites industriels s’inscrivent dans un cadre juridique large, faisant intervenir différentes branches du droit. Au niveau du droit du travail, l’employeur a une obligation générale de sécurité envers ses salariés, consacrée par l’article L. 4121-1 du Code du travail. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation s’étend à la prévention des risques professionnels, à l’information et à la formation des salariés.
Le droit de l’environnement impose également des contraintes aux exploitants d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La loi du 19 juillet 1976 relative aux ICPE, codifiée dans le Code de l’environnement, soumet ces installations à un régime d’autorisation ou de déclaration en fonction des risques qu’elles présentent. Les exploitants doivent respecter des prescriptions techniques visant à prévenir les dangers et inconvénients pour l’environnement.
Le droit de l’urbanisme intervient aussi dans l’encadrement des sites industriels, notamment à travers les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Instaurés par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels, ces plans visent à limiter l’exposition des populations aux risques industriels en réglementant l’urbanisation autour des sites à risques.
Enfin, le droit pénal sanctionne les manquements graves aux obligations de sécurité. Le Code pénal prévoit notamment des infractions spécifiques en cas de mise en danger de la vie d’autrui ou d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne résultant d’un manquement à une obligation de sécurité.
Les principes fondamentaux
Plusieurs principes fondamentaux guident la réglementation en matière de sécurité industrielle :
- Le principe de prévention, qui impose d’agir en amont pour éviter la survenance des risques
- Le principe de précaution, applicable en cas d’incertitude scientifique sur les risques
- Le principe pollueur-payeur, qui fait supporter le coût des mesures de prévention et de réparation à l’exploitant
- Le principe de participation, qui garantit l’information et la consultation du public
La directive Seveso : pierre angulaire de la prévention des accidents majeurs
La directive Seveso constitue le texte de référence au niveau européen pour la prévention et la gestion des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses. Adoptée en 1982 suite à la catastrophe de Seveso en Italie, elle a été révisée à plusieurs reprises pour aboutir à la directive Seveso 3 actuellement en vigueur.
Cette directive s’applique aux établissements où sont présentes des substances dangereuses en quantités supérieures à certains seuils. Elle distingue deux types d’établissements selon la quantité de substances présentes : les établissements « seuil bas » et les établissements « seuil haut », soumis à des obligations plus strictes.
Les principales obligations imposées par la directive Seveso aux exploitants sont :
- La mise en place d’une politique de prévention des accidents majeurs
- L’élaboration d’un système de gestion de la sécurité
- La réalisation d’études de dangers
- L’information du public sur les risques
- L’élaboration de plans d’urgence internes
Pour les établissements « seuil haut », s’ajoutent des obligations renforcées comme la production d’un rapport de sécurité détaillé ou la mise en place d’un plan d’opération interne (POI).
En France, la directive Seveso est transposée dans le Code de l’environnement. Les établissements concernés sont soumis à autorisation avec servitudes d’utilité publique pour les « seuil haut » (AS) et à autorisation pour les « seuil bas ».
Le cas particulier des sites Seveso seuil haut
Les sites Seveso seuil haut, présentant les risques les plus importants, font l’objet d’un encadrement particulièrement strict. Outre les obligations générales, ils doivent notamment :
- Réaliser des études de dangers approfondies
- Mettre en place un système de gestion de la sécurité (SGS) audité régulièrement
- Élaborer des plans d’opération interne (POI) testés au moins tous les 3 ans
- Participer à l’élaboration des plans particuliers d’intervention (PPI) sous l’égide du préfet
Ces sites font l’objet d’inspections renforcées par les services de l’État, au moins une fois par an.
L’étude de dangers : outil central de la prévention des risques
L’étude de dangers constitue un document clé dans le dispositif de prévention des risques industriels. Exigée pour les installations soumises à autorisation, elle vise à caractériser, analyser, évaluer, prévenir et réduire les risques d’une installation.
Le contenu de l’étude de dangers est défini par l’article D. 181-15-2 du Code de l’environnement. Elle doit notamment :
- Décrire l’environnement et le voisinage de l’installation
- Identifier et caractériser les potentiels de dangers
- Réduire les potentiels de dangers
- Estimer les conséquences de la concrétisation des dangers
- Évaluer les risques en tenant compte de l’efficacité des mesures de prévention et de protection
- Présenter les mesures de maîtrise des risques
L’étude de dangers doit être proportionnée aux risques présentés par l’installation. Elle s’appuie sur une analyse systématique des risques selon une méthodologie explicite. Les scénarios d’accident sont modélisés pour évaluer leurs effets potentiels (thermiques, toxiques, de surpression).
Sur la base de cette analyse, l’exploitant doit démontrer que les risques sont maîtrisés à un niveau aussi bas que raisonnablement possible (principe ALARP : As Low As Reasonably Practicable). Il doit justifier que les mesures de maîtrise des risques mises en place sont suffisantes et adaptées.
La démarche d’analyse des risques
L’analyse des risques dans l’étude de dangers suit généralement les étapes suivantes :
- Identification des potentiels de dangers
- Analyse préliminaire des risques
- Étude détaillée de réduction des risques
- Quantification et hiérarchisation des différents scénarios
- Caractérisation des mesures de maîtrise des risques
Des méthodes comme l’HAZOP (HAZard and OPerability study) ou l’AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité) sont couramment utilisées.
Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT)
Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ont été instaurés par la loi du 30 juillet 2003, suite à la catastrophe d’AZF à Toulouse en 2001. Ils visent à résoudre les situations difficiles en matière d’urbanisme héritées du passé et à mieux encadrer l’urbanisation future autour des établissements Seveso seuil haut.
Les PPRT sont élaborés sous l’autorité du préfet, en concertation avec les différentes parties prenantes. Ils délimitent un périmètre d’exposition aux risques autour des sites Seveso seuil haut, à l’intérieur duquel différentes zones sont réglementées :
- Zones d’interdiction stricte de toute construction nouvelle
- Zones d’autorisation limitée où des aménagements sont possibles sous conditions
- Zones de prescription où des mesures de protection des populations sont obligatoires
Les PPRT peuvent prévoir des mesures foncières comme l’expropriation ou le délaissement pour les bâtiments les plus exposés. Ils imposent également des travaux de renforcement du bâti existant pour améliorer la protection des occupants.
Le financement des mesures prévues par les PPRT fait l’objet d’une répartition entre l’État, les collectivités locales et les industriels à l’origine du risque. Les propriétaires de logements peuvent bénéficier d’aides pour réaliser les travaux prescrits.
La mise en œuvre des PPRT
La mise en œuvre des PPRT a rencontré diverses difficultés :
- Complexité des procédures d’élaboration
- Coût élevé des mesures foncières et des travaux prescrits
- Réticences des collectivités locales face aux contraintes d’urbanisme
- Inquiétudes des riverains sur la dépréciation de leurs biens
Des évolutions réglementaires ont visé à faciliter la mise en œuvre des PPRT, notamment en assouplissant certaines règles et en renforçant l’accompagnement des collectivités et des particuliers.
Le contrôle et les sanctions des manquements aux obligations de sécurité
Le respect des obligations de sécurité par les exploitants de sites industriels fait l’objet de contrôles réguliers par les autorités compétentes. L’inspection des installations classées, rattachée aux DREAL (Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), joue un rôle central dans ce dispositif de contrôle.
Les inspecteurs des installations classées disposent de pouvoirs étendus pour mener à bien leurs missions :
- Droit d’accès aux sites industriels
- Pouvoir de prélèvement d’échantillons
- Droit de communication de documents
- Possibilité de dresser des procès-verbaux en cas d’infraction
En cas de manquement constaté, différentes sanctions peuvent être prononcées :
- Sanctions administratives : mise en demeure, consignation de sommes, suspension d’activité, fermeture d’installation
- Sanctions pénales : amendes, peines d’emprisonnement pour les infractions les plus graves
La responsabilité civile de l’exploitant peut également être engagée en cas de dommages causés à des tiers du fait d’un manquement aux obligations de sécurité.
Le renforcement des sanctions
Face à la persistance de certains manquements, les pouvoirs publics ont progressivement renforcé l’arsenal répressif :
- Augmentation des montants des amendes pénales
- Création de nouvelles infractions spécifiques
- Extension de la responsabilité pénale des personnes morales
- Mise en place d’amendes administratives
La loi ASAP du 7 décembre 2020 a notamment introduit la possibilité pour l’administration de prononcer des amendes et astreintes administratives en cas de non-respect de certaines prescriptions relatives aux ICPE.
Perspectives d’évolution de la réglementation
La réglementation des obligations de sécurité des sites industriels est en constante évolution, sous l’effet de différents facteurs : retours d’expérience des accidents, progrès technologiques, évolution des attentes sociétales en matière de sécurité et d’environnement.
Plusieurs tendances se dégagent pour les évolutions futures :
- Renforcement de l’approche basée sur les risques, avec une évaluation plus fine des scénarios d’accident
- Prise en compte accrue des facteurs organisationnels et humains dans la prévention des risques
- Développement de la culture de sécurité au sein des entreprises
- Amélioration de l’information et de la participation du public
- Adaptation de la réglementation aux nouvelles technologies (industrie 4.0, intelligence artificielle)
La question de la cybersécurité des installations industrielles devient également un enjeu majeur, face à la multiplication des cyberattaques visant les systèmes de contrôle industriels.
Au niveau européen, une révision de la directive Seveso pourrait intervenir dans les prochaines années pour prendre en compte ces nouveaux enjeux. En France, les travaux du Plan de Modernisation des Installations Industrielles (PM2I) visent à anticiper le vieillissement des équipements et à renforcer leur sûreté.
Vers une approche plus intégrée des risques
Une tendance de fond consiste à développer une approche plus intégrée des différents risques (technologiques, naturels, sanitaires) et de leurs interactions. Cette approche « multi-risques » vise à mieux appréhender la complexité des systèmes industriels et de leur environnement.
Dans cette optique, le développement d’outils d’analyse et de modélisation plus performants devrait permettre une évaluation plus fine des risques et de leurs effets domino potentiels.
Enfin, la prise en compte des enjeux du développement durable dans la gestion des risques industriels devrait s’accentuer, avec une attention accrue portée à la résilience des installations face au changement climatique.