L’assurance vie représente l’un des placements préférés des Français pour constituer et transmettre un patrimoine. Au sein de ce véhicule d’investissement, la convention de gestion personnalisée offre une dimension supplémentaire permettant d’adapter la gestion des fonds aux objectifs spécifiques du souscripteur. Ce dispositif juridique, souvent méconnu, constitue pourtant un levier majeur d’optimisation patrimoniale. Entre délégation de pouvoir et responsabilité partagée, cette modalité de gestion soulève des questions juridiques complexes tant pour les assureurs que pour les souscripteurs. Notre analyse détaillée explore les contours juridiques, les avantages fiscaux et les risques potentiels de ce mécanisme sophistiqué qui redéfinit la relation triangulaire entre l’assureur, le gestionnaire et le souscripteur.
Fondements Juridiques et Mécanismes de la Convention de Gestion Personnalisée
La convention de gestion personnalisée (CGP) s’inscrit dans le cadre juridique français de l’assurance vie, principalement régi par le Code des assurances. Ce dispositif contractuel trouve son fondement légal dans l’article L.132-21-1 du Code des assurances qui reconnaît la possibilité pour le souscripteur de déléguer la gestion financière de son contrat.
Sur le plan juridique, la CGP constitue un contrat tripartite entre l’assureur, le souscripteur et le gestionnaire financier. Cette convention se superpose au contrat d’assurance vie initial sans s’y substituer. Le Conseil d’État a confirmé cette analyse dans sa décision du 23 novembre 2015, reconnaissant l’autonomie juridique de la convention de gestion tout en soulignant son rattachement nécessaire au contrat principal d’assurance vie.
La jurisprudence de la Cour de cassation, notamment dans son arrêt du 19 mars 2014, a précisé que cette délégation de gestion n’exonère pas l’assureur de ses obligations d’information et de conseil vis-à-vis du souscripteur. Cette position a été renforcée par la directive européenne Distribution en Assurance (DDA) transposée en droit français en 2018.
Caractéristiques techniques et opérationnelles
D’un point de vue opérationnel, la CGP se caractérise par plusieurs éléments distinctifs :
- La définition d’un mandat de gestion précisant l’étendue des pouvoirs conférés au gestionnaire
- L’établissement d’un profil de risque personnalisé du souscripteur
- La détermination d’une allocation d’actifs adaptée aux objectifs patrimoniaux
- La mise en place d’un reporting régulier sur les opérations effectuées
Le seuil d’accès à ce type de gestion est généralement élevé (souvent supérieur à 250 000 euros), ce qui en fait un outil réservé aux patrimoines significatifs. La Fédération Française de l’Assurance rapporte que moins de 2% des contrats d’assurance vie bénéficient d’une CGP, mais ils représentent près de 15% des encours totaux.
La qualification juridique de cette convention a fait l’objet de débats doctrinaux. Certains auteurs comme le Professeur Mayaux y voient un contrat sui generis, tandis que d’autres, comme Jérôme Kullmann, l’analysent comme un mandat d’intérêt commun. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 7 février 2019, a privilégié cette seconde approche, soulignant l’interdépendance des intérêts du mandant et du mandataire.
Cette qualification n’est pas sans conséquence sur le régime de responsabilité applicable. En effet, le mandataire de gestion assume une obligation de moyens renforcée selon la jurisprudence constante de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. L’assureur, quant à lui, conserve une responsabilité de contrôle sur les opérations réalisées par le gestionnaire délégué.
Régime Fiscal et Avantages Patrimoniaux de la Gestion Personnalisée
Le régime fiscal applicable à la convention de gestion personnalisée s’inscrit dans le cadre général de la fiscalité de l’assurance vie, tout en présentant certaines particularités liées à la nature des investissements réalisés. La loi PACTE de 2019 a confirmé et renforcé les avantages fiscaux liés à ce type de gestion.
Sur le plan de l’imposition des revenus, les produits générés par les contrats sous convention de gestion personnalisée bénéficient du régime de faveur de l’assurance vie. Après huit ans de détention, les gains sont soumis au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8% ou, sur option, au barème progressif de l’impôt sur le revenu, avec dans les deux cas un abattement annuel de 4 600 euros pour une personne seule et 9 200 euros pour un couple.
Une spécificité fiscale majeure concerne les arbitrages réalisés dans le cadre de la CGP. Ces opérations, même fréquentes, ne sont pas considérées comme des rachats partiels et n’entraînent donc pas d’imposition immédiate. Cette neutralité fiscale a été confirmée par le Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) du 11 juillet 2019, qui précise que les modifications d’allocation d’actifs effectuées par le gestionnaire mandaté n’affectent pas le régime fiscal du contrat.
Stratégies d’optimisation patrimoniale
La CGP offre plusieurs leviers d’optimisation patrimoniale :
- La diversification accrue des investissements, avec accès à des classes d’actifs sophistiquées
- L’adaptation dynamique de l’allocation selon les cycles de marché
- La possibilité d’investir dans des titres non cotés ou des fonds dédiés
- L’intégration d’une stratégie de démembrement de propriété
Ces avantages patrimoniaux se doublent d’une efficacité en matière de transmission. En effet, l’assurance vie bénéficie d’un régime successoral favorable avec un abattement de 152 500 euros par bénéficiaire pour les versements effectués avant 70 ans. La Cour de cassation, dans son arrêt du 23 novembre 2004, a confirmé que ce régime s’appliquait pleinement aux contrats sous CGP, malgré leur caractère potentiellement plus actif en termes de gestion.
L’Administration fiscale a néanmoins encadré certaines pratiques. Dans une réponse ministérielle Bacquet du 29 juin 2010, puis dans celle du 12 janvier 2016 dite Ciot, elle a précisé les conditions dans lesquelles les contrats sous CGP conservent leur qualification d’assurance vie du point de vue fiscal. Le critère déterminant reste l’existence d’un aléa financier réel, ce qui suppose que le gestionnaire dispose d’une marge de manœuvre effective.
La loi de finances pour 2022 a maintenu ces avantages fiscaux tout en renforçant les obligations déclaratives. Désormais, les contrats d’assurance vie dépassant 1 million d’euros, catégorie dans laquelle se retrouvent fréquemment les contrats sous CGP, doivent faire l’objet d’une mention spécifique dans la déclaration IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière) lorsqu’ils comportent des actifs immobiliers.
Enfin, la jurisprudence du Conseil d’État (arrêt du 19 juillet 2017) a confirmé que les frais de gestion spécifiques liés à la CGP pouvaient être déduits de l’assiette taxable lors des rachats, ce qui constitue un avantage supplémentaire non négligeable pour les patrimoines importants.
Responsabilités Juridiques et Contentieux Spécifiques
La mise en place d’une convention de gestion personnalisée génère un cadre de responsabilités juridiques spécifiques qui a donné lieu à un contentieux nourri ces dernières années. Les tribunaux français ont progressivement dessiné les contours des obligations respectives des différents acteurs impliqués dans ce dispositif triangulaire.
La responsabilité du gestionnaire mandaté constitue le premier niveau d’analyse. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, notamment dans son arrêt du 12 février 2020, le gestionnaire est tenu à une obligation de moyens renforcée. Cela signifie qu’il doit mettre en œuvre toutes les diligences nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans le mandat, sans pour autant garantir un résultat précis en termes de performance.
Cette qualification juridique a des conséquences probatoires importantes. En cas de litige, le souscripteur devra démontrer que le gestionnaire n’a pas respecté les termes du mandat ou n’a pas agi conformément au profil de risque défini. La Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 15 mars 2018, a précisé que le simple constat de contre-performances ne suffit pas à engager la responsabilité du gestionnaire si celui-ci a respecté l’allocation d’actifs convenue.
Cas particuliers de responsabilité
Plusieurs situations spécifiques ont été identifiées par la jurisprudence comme susceptibles d’engager la responsabilité du gestionnaire :
- Le non-respect du profil de risque du client (CA Paris, 14 novembre 2017)
- L’absence de diversification suffisante du portefeuille (Cass. com., 8 juillet 2019)
- Le défaut d’information sur les risques spécifiques de certains investissements (CA Lyon, 22 mai 2018)
- L’inertie du gestionnaire face à une évolution défavorable persistante des marchés (Cass. com., 17 mars 2021)
Quant à la responsabilité de l’assureur, elle présente une double dimension. D’une part, l’assureur est garant de la conformité du contrat d’assurance vie aux dispositions légales. D’autre part, il assume une responsabilité de contrôle sur les actes du gestionnaire mandaté. Cette seconde dimension a été particulièrement soulignée par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 octobre 2016, où elle a jugé qu’un assureur ne pouvait s’exonérer de toute responsabilité en cas de gestion manifestement imprudente par le mandataire.
Le Médiateur de l’Assurance, dans son rapport annuel 2022, a relevé une augmentation des saisines liées aux contrats sous CGP, particulièrement concernant le niveau d’information fourni au souscripteur. Il recommande aux assureurs de mettre en place des procédures de contrôle renforcées pour les opérations atypiques ou risquées réalisées dans le cadre d’une CGP.
La question de la prescription des actions en responsabilité fait l’objet d’un traitement spécifique. La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 janvier 2019, a jugé que le délai de prescription de l’action en responsabilité contre le gestionnaire commençait à courir non pas à la date de réalisation des opérations contestées, mais à la date à laquelle le souscripteur avait eu connaissance effective de leur caractère préjudiciable. Cette solution favorable au souscripteur a été confirmée par la loi du 23 mars 2020 qui a modifié l’article L. 110-4 du Code de commerce.
Enfin, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) exercent une surveillance conjointe sur ces dispositifs. Dans une position commune publiée le 4 mars 2020, elles ont rappelé les exigences de transparence et d’adéquation qui s’imposent aux différents acteurs de la CGP.
Évolutions Réglementaires et Tendances Jurisprudentielles Récentes
Le cadre juridique de la convention de gestion personnalisée connaît des mutations significatives sous l’effet conjoint des évolutions législatives européennes et nationales, ainsi que d’une jurisprudence de plus en plus précise. Ces transformations redessinent progressivement les contours de ce dispositif d’optimisation patrimoniale.
Au niveau européen, la directive MiFID II (Markets in Financial Instruments Directive), transposée en droit français en 2018, a renforcé les exigences en matière de conseil en investissement. Bien que visant principalement les services d’investissement, cette réglementation a eu des répercussions indirectes sur les CGP en imposant des standards plus élevés en matière d’évaluation de l’adéquation des produits financiers aux profils des clients.
Plus directement, la directive Distribution d’Assurances (DDA) a imposé aux assureurs et intermédiaires d’assurance une obligation renforcée d’information et de conseil. Le règlement PRIIPS (Packaged Retail and Insurance-based Investment Products) complète ce dispositif en exigeant la remise d’un document d’informations clés (DIC) standardisé pour les produits d’investissement packagés, y compris les contrats d’assurance vie sous CGP.
Sur le plan national, la loi PACTE du 22 mai 2019 a modernisé le cadre de l’assurance vie en facilitant notamment les transferts entre contrats et en créant les fonds eurocroissance de nouvelle génération. Ces innovations ont des implications directes pour les CGP, qui peuvent désormais intégrer ces nouveaux supports dans leur stratégie d’allocation d’actifs.
Jurisprudence structurante
Plusieurs décisions récentes ont contribué à préciser le régime juridique applicable aux CGP :
- L’arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 2021 qui renforce l’obligation d’information continue du gestionnaire
- La décision du Conseil d’État du 3 février 2022 clarifiant le traitement fiscal des frais spécifiques à la gestion personnalisée
- L’ordonnance du Tribunal de commerce de Paris du 11 mai 2023 sur la qualification de pratique commerciale trompeuse en cas de présentation excessive des performances historiques
- L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 22 septembre 2022 sur la responsabilité de l’assureur en cas de défaillance du gestionnaire mandaté
L’ACPR a publié en novembre 2022 une recommandation spécifique sur les contrats d’assurance vie complexes, catégorie dans laquelle peuvent entrer certaines CGP. Cette recommandation insiste sur la nécessité d’une information claire et compréhensible sur les mécanismes de ces contrats et leurs risques inhérents.
La question de la rémunération des intermédiaires impliqués dans la mise en place d’une CGP a fait l’objet d’une attention particulière. La Cour de cassation, dans son arrêt du 7 avril 2022, a jugé que les rétrocessions de commissions perçues par le courtier ou le conseiller en gestion de patrimoine devaient être intégralement divulguées au client, sous peine de constituer un manquement à l’obligation de loyauté.
Le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) a publié en janvier 2023 un rapport détaillé sur les conventions de gestion personnalisée, proposant plusieurs pistes d’évolution pour sécuriser juridiquement ces dispositifs tout en préservant leur attractivité. Parmi les propositions figurent la création d’un statut spécifique pour les gestionnaires délégataires et l’établissement d’un cadre prudentiel adapté.
Enfin, la crise sanitaire de 2020-2021 a mis à l’épreuve la résilience des CGP face aux chocs de marché. Plusieurs décisions judiciaires ont examiné la question de la force majeure invoquée par certains gestionnaires pour justifier des contre-performances. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 17 décembre 2021, a considéré que les circonstances exceptionnelles ne dispensaient pas le gestionnaire de son obligation d’adaptation et de réactivité, tout en tenant compte du contexte inédit dans l’appréciation de sa responsabilité.
Perspectives d’Avenir et Stratégies d’Adaptation pour les Professionnels et Souscripteurs
Face aux évolutions juridiques et économiques, les conventions de gestion personnalisée se transforment pour répondre aux nouvelles attentes des souscripteurs et aux exigences réglementaires. Cette mutation ouvre de nouvelles perspectives tant pour les professionnels du secteur que pour les détenteurs de contrats d’assurance vie.
La digitalisation constitue l’un des vecteurs majeurs de transformation des CGP. Les plateformes de gestion en ligne permettent désormais un suivi en temps réel des allocations d’actifs et une interaction plus fluide entre le souscripteur et le gestionnaire. Cette évolution technologique modifie profondément la relation contractuelle, comme l’a souligné le Tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 14 mars 2023, qui reconnaît la validité juridique des instructions de gestion transmises par voie électronique sécurisée.
L’intégration des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) représente une autre tendance de fond. Le règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), entré en application en mars 2021, impose de nouvelles obligations de transparence concernant l’intégration des risques de durabilité dans les décisions d’investissement. Cette réglementation a des implications directes pour les CGP, qui doivent désormais expliciter leur approche en matière d’investissement responsable.
Stratégies d’adaptation pour les professionnels
Pour les acteurs du secteur, plusieurs axes stratégiques se dégagent :
- Le développement de mandats de gestion thématiques répondant à des objectifs patrimoniaux spécifiques
- L’intégration de technologies prédictives dans l’analyse des marchés et la construction de portefeuilles
- La mise en place de systèmes d’alerte automatisés pour détecter les écarts par rapport au profil de risque
- L’élaboration de reportings personnalisés intégrant des indicateurs de performance ajustés du risque
La Fédération Nationale des Conseils en Gestion de Patrimoine recommande à ses membres d’anticiper ces évolutions en renforçant leur formation continue et en adoptant une approche plus collaborative avec les autres professionnels impliqués dans la chaîne de valeur de la CGP.
Du côté des assureurs, la tendance est à l’architecture ouverte permettant d’intégrer des gestionnaires externes spécialisés. Cette approche, validée par l’ACPR dans sa position du 17 novembre 2022, permet d’élargir l’offre de gestion tout en maintenant un cadre de contrôle adéquat.
Pour les souscripteurs, la diversification des stratégies patrimoniales passe par une utilisation plus sophistiquée des CGP. La segmentation du patrimoine entre différents contrats et différents types de gestion permet d’optimiser le couple rendement/risque global. Cette approche a été validée par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2021, qui reconnaît la légitimité d’une stratégie patrimoniale globale impliquant plusieurs contrats d’assurance vie.
L’évolution des taux d’intérêt et le retour potentiel de l’inflation constituent des défis majeurs pour les CGP dans les années à venir. Ces paramètres macroéconomiques modifient profondément l’attractivité relative des différentes classes d’actifs et nécessitent une adaptation des stratégies d’allocation. Le Conseil d’analyse économique a souligné dans sa note de février 2023 l’importance d’une diversification accrue des portefeuilles d’assurance vie face à ces nouveaux paradigmes économiques.
Enfin, la question de la transmission intergénérationnelle du patrimoine prend une importance croissante dans la conception des CGP. Les dispositifs de démembrement croisé ou de quasi-usufruit s’intègrent de plus en plus fréquemment dans les stratégies de gestion personnalisée. La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 octobre 2022, a apporté d’utiles précisions sur l’articulation entre le régime juridique de l’assurance vie et celui du démembrement de propriété, ouvrant de nouvelles perspectives pour les stratégies patrimoniales sophistiquées.
Ces évolutions dessinent les contours d’une convention de gestion personnalisée plus agile, plus transparente et mieux adaptée aux objectifs patrimoniaux diversifiés des souscripteurs. Comme l’a souligné le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes dans son avis du 7 mars 2023, cette sophistication croissante appelle un renforcement parallèle des mécanismes de contrôle et de certification des informations financières communiquées dans le cadre de ces conventions.
